2022

28 avril 2022 – Restitution du voyage d’études des moniteurs éducateurs en fin de formation dans les camps de Calais

Vivre une expérience collective et humaine,
Voir, expérimenter, éprouver la réalité de Calais,
Appréhender la problématique des exilés, clandestins et refugiés,
Connaître l’action des associations,
Mener une réflexion sur ce territoire particulier qu’est Calais,
Un très beau témoignage de la promotion 2020-2022 des moniteurs éducateurs et de leur équipe pédagogique sur leur voyage d’études à Calais en avril 2022.

Extraits choisis du texte de Laëtitia Degouys, formatrice :

Nous aurons mené ce projet jusqu’au bout, fièrement, j’y ai participé, fièrement un jour dans ma carrière de formatrice, mon employeur nous aura permis de vivre dans la parole et le corps à quel point venues d’ici et d’ailleurs toutes les vies se valent.
J’étais, donc, cette formatrice en formation toute la semaine.
Je vais t’évoquer un bout de mon histoire dans ce texte mais il manquera les images de nos corps qui bougent, qui éprouvent, qui se glacent, qui s’agacent, qui subissent, qui se désemparent, qui espèrent, qui se baissent et se redressent.
C’est comme un salon de coiffure effectivement, je vois ces hommes assis avec une blouse intégrale bleue et cet autre muni de ciseaux qui s’affaire à rendre les autres présentables. C’est ainsi que se maintient une forme de dignité. Coiffé et debout avec des lunettes blanches. Si peu finalement quand il s’agit de survivre. Si peu aussi quand il s’agit de ne pas mourir tout de suite.
Tiens, combien sont-ils dans ce camp ? 300 peut-être 500. Tiens, comment tout ce décor de fortune peut-il être détruit en si peu de temps ? Et ça peut recommencer toutes les 48 heures. Tiens, mais c’est peut-être demain l’expulsion prévue par la Préfecture. Par l’Etat, c’est la même chose.
La cause est celle-ci : celle de ne jamais s’habituer et continuer à faire, à s’opposer, à dénoncer, à installer des rapports de force. Je vous, je nous propose d’être des portes voix de ceux que de toute façon l’on n’écoute pas. Les petites voix, petites bulles de plaidoyer que nous pouvons tous être désormais.
Pouvoir justifier aujourd’hui que ce qui se passe là-haut c’est effectivement inhumain, couteux et inefficace.
Ce sont des personnes exilées. Clandestins, migrants, réfugiés sont des éléments de langage qui appartiennent à d’autres champs de pensée, pensées qui justifient que les personnes ne doivent pas être accueillies ou accueillies selon leurs supposées racines de civilisation plus ou moins européennes.
Liberté, égalité, fraternité, c’est ainsi que les travailleurs sociaux que je forme ne doivent jamais oublier à quel point ce métier s’exerce bien au travers du tryptique républicain.
Parce qu’après ça, on ne peut pas faire comme si nous ne savions pas.

Extraits choisis de la restitution des étudiants

Témoignages de personnes exilées :

Je suis chassé comme le gibier, parqué comme les poules, transporté comme les moutons. Chaque jour, je lutte pour garder ma dignité, j’aimerai tant avoir ma place quelque part, servir à quelque chose. Je m’appelle Ibrahim et j’espère ne jamais l’oublier, à force de voir dans le regard de l’autre l’oubli de ma propre humanité.
Ibrahim, exilé
Nous étions 4 depuis l’Espagne, nous avons voyager, travailler, mendier ensemble depuis tout ce temps ; ces frères de la communauté soudanaise, jamais je ne les oublierai. Le 1er a été envoyé à Marseille par une association aidée de la police pour le « mettre à l’abri ». Pour le moment, il squatte, il essaiera de revenir quand la saison sera plus douce. Le 2ème a réussi à aller en Angleterre. Il a abandonné ces maudites côtes pour retrouver la ville. Il réussira à trouver un travail, c’est un débrouillard. Le 3ème a eu un accident. Lors d’une tentative de passage par camion, un virage sec l’a fait chuter de l’essieu. Il n’a pas eu de chance, nous si. Il n’a pas eu mal, nous si. Moi, maintenant, je suis fatigué et je préfère être seul. Je n’ai qu’une chose en tête : passer de l’autre côté.
Souleymane, exilé
Trouver une solution pour charger mon téléphone. Sans lui je vais rater le prochain passeur en bateau. Sans lui, ma famille et mes amis auront comme disparus.
Souleymane, exilé
Aller chercher de la nourriture dans la file d’attente immense devant le camion d’une association, j’ai si faim. Mais j’ai si peur de de quitter ma tente, la police aura peut-être tout saboter à mon retour.
Souleymane, exilé

Témoignages de bénévoles :

Je fournis un travail de fourmi. Dans une jungle dont on ne dit plus le nom. Ma présence n’enlève rien à la misère ambiante, ma volonté est de la rendre moins pénible.
Vincent, bénévole
La journée, je vois des tentes déchiquetées, des exilés qui racontent leurs rêves de partir, je constate les violences policières qu’ils subissent, le manque de moyens et de soutien des associations, les murs de barbelés, la pression ambiante dans la ville, les bénévoles qui ne veulent plus être bénévoles, les méthodes de dissuasion, les incompréhensions, la fatigue, les départs, les décès.
Alice, bénévole
Depuis le 8 août 2018, les forces de l’ordre se rendent toutes les 36 à 48 heures sur les différents lieux de vie afin de déloger les occupants. Ils agissent sur la base du flagrant délit d’occupation illicite. En 2021, 1300 expulsions de lieux de vie informels, 10 000 tentes et bâches saisies, 3800 sacs de couchage et couvertures saisis.
Association Human rights observers
L’hiver est un véritable enjeu de survie là–bas. Depuis 2016, je suis engagé pour réceptionner, couper, tronçonner, hacher, démonter, distribuer du bois aux personnes déplacées. Il servira à chauffer les personnes égarées, leurs aliments et leurs vêtements. Je distribue près de 7 tonnes de bois par semaine. Je peux réchauffer un enfer.
Association Wood yard
Je compte sur la présence d’hébergeurs solidaires. Ils ouvrent les portes de leur foyer, le temps d’une nuit, pour proposer un temps de répit et de protection des personnes exilées. Un repas chaud, un lit douillé, du chauffage et un toit. Elle est peut-être là l’utopie de ces personnes, troquer la peur et le froid du dehors contre la chaleur d’un foyer.
Association Utopia 56

Témoignage d’un CRS, compagnie républicaine de sécurité :

Mon rôle est d’apporter un cadre au quotidien et de protéger les citoyens. À Calais, j’exécute les ordres du Préfet et je participe à expulser les exilés de leurs lieux de vie environ toutes les 36 heures. En effet, ils se trouvent sur des terrains privés et s’y installer est illégal. Je veille également à ce que les bénévoles n’entreprennent pas de distribution alimentaire dans les rues interdites à cet effet. Je ne reste jamais plus de 3 semaines à effectuer ces tâches sur Calais, décision de l’État, pour nous empêcher de créer du lien et protéger notre santé mentale face aux situations qui peuvent nous faire perdre notre sang froid.
Patrick, CRS